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"Bold." | Transformer la distribution d'assurance avec Jérémy Sebag, DG de SPVIE

De stagiaire dans une agence d'assurance à co-fondateur et PDG du 4ème courtier grossiste de France. Découvrez les décisions et méthodes derrière le succès de Jérémy Sébag. Quelles leçons tirées pour votre entreprise ?

Seyna - "Bold." - Transformer la distribution d'assurance avec Jérémy Sebag, directeur général de SPVIE

Nous avons tous 24 heures par jour. Pourtant certains individus parviennent à façonner le monde dans lequel nous vivons. "Bold." explore l'ADN et les stratégies des individus qui transforment leur secteur.

Aujourd’hui, rencontre avec Jérémy Sebag, co-fondateur de SPVIE. Ayant commencé comme stagiaire dans une agence d’assurance, Jérémy gère aujourd’hui 600 collaborateurs, 90m€ de CA et 16m€ d’EBITDA. Quelle méthode et quelle stratégie a-t-il suivi pour transformer la distribution d’assurance ?

Jérémy, avant de rentrer dans la stratégie business, explique-nous LE trait de ta personnalité qui t’a amené là aujourd’hui.

J’attribue beaucoup de mon succès à mon obsession de devenir expert. Quand je m’empare d’un sujet, je ne le lâche plus. Et cela s’est reflété sur toute ma carrière. C’est cette obsession qui m’a amené à me spécialiser. Et quand je dis “me spécialiser”, je ne parle pas de suivre plusieurs années un chemin sur lequel je serais arrivé par hasard. Je parle du choix conscient de refuser catégoriquement toute autre route qui n’est pas celle que j’ai choisie.

Petit-fils d’agent général, j’ai littéralement baigné dans le secteur de l’assurance toute ma vie. Depuis mon premier stage en agence à aujourd’hui, 4ème courtier grossiste de France, 20 ans plus tard. D’autres amis ont fait de très belles carrières en conseil, finance, en changeant de postes dans des grands groupes… Moi j’ai pris la décision de devenir le meilleur sur un sujet.

Quel grand objectif t’es-tu fixé pour ne pas dévier de ta trajectoire ?

Mon objectif a toujours été de devenir expert. Et devenir expert, c’est se frotter 20 ans au marché, sous toutes ses coutures. Pour y arriver, il faut être polymorphe - ce qui n’est pas donné à tout le monde. Parce qu’il ne s’agit pas simplement de passer par tous les corps de métier. Il s’agit de s’impliquer, prendre des risques et se démener sur tous les postes. J’aime bien faire le parallèle avec un joueur de tennis professionnel. Ce n’est qu’à force de parfaire le mouvement, d’enchaîner les sets sur des années, qu’on se construit des automatismes, un flair. Cette intuition supérieure qui vous permet de prédire où ira la balle. Mais ça se construit dans l’effort et sur la durée.

La finalité, c’est de “créer votre propre légende”. C’est l’actif qui vous permettra ensuite de convaincre et de fédérer des gens autour de vous et votre vision. C’est crucial : construire sa légende, avant même son entreprise.

Tu parles de “fédérer”. Parle-moi du rôle qu’a joué le collectif dans ton succès et comment tu l’as abordé.

Pour moi, le binôme de départ c’est 50% de l’histoire. Cédric, mon co-fondateur, et moi-même sommes très différents. Nous n’opérons pas du tout de la même manière. Et pourtant nous avons toujours été d’accord sur tout. Travailler ensemble au quotidien, en Good Cop / Bad Cop, etc. tout semblait inné. Sur ce point, on s’est juste bien trouvés.

En revanche, un conseil que je donnerais, c’est d’à tout prix déminer les problèmes d’égo ou d’argent. Une entreprise qui performe, c’est une entreprise où chacun est à sa place et où chacun accepte sa place.

Une fois ces principes établis, il reste à trouver les bonnes personnes pour élever votre entreprise. Certaines seront là sur toute l’aventure, d’autres non, et c’est sain. L’important est de trouver des personnes aussi folles que vous ET encore plus important, qui ont un “driver” différent du vôtre. Personnellement, ma nature veut que j’aie les yeux rivés sur la top line. Donc j’ai besoin de quelqu’un qui vit pour contrôler les coûts. Et ainsi de suite.

Très clair ! Parle-moi un peu de stratégie maintenant. Comment s’y prendre pour transformer tout un secteur comme celui de la distribution d’assurance ? 

Comme dans tout secteur, il faut commencer par analyser la tectonique des plaques. L’assurance, on le sait, est un secteur extraordinairement complexe. On plonge tout de suite dans une technicité sans fond. Et ce, sur une vaste gamme de métiers tous plus touffus les uns que les autres : juridique, actuariat, data management, UX, compliance, comptabilité, etc. 

Au cours des dernières décennies, la réponse des acteurs traditionnels a été de construire l’ensemble de ces solutions eux-mêmes. Ils se sont engagés simultanément sur tous les fronts. Mais aujourd’hui, l’économie est régie par l’hyper-spécialisation. Vous avez des business qui focalisent toutes leurs ressources et cerveaux pour lisser 5% de votre chaîne de valeur. Pour prendre un exemple concret, une compagnie d’assurance peut développer sa propre solution anti-fraude, mais elle va en frontal contre Shift Technology, ses 220m€ levés et +100 employés y dédiant 60h par semaine. 

Bref, chaque fragment de la chaîne de valeur a ses champions. Et vous ne pourrez pas les affronter tous en même temps. C’est impossible.

Chez SPVIE, on s’est concentrés sur devenir les meilleurs en distribution d’assurance. Cela a été notre seul objectif pendant 10 ans. Mais au bout d’un moment, on a voulu aller plus loin. On a voulu transformer l’approche. 

On a donc construit Big Broker : l’infrastructure ouverte qui permet d’intégrer les meilleurs produits d’assurance du marché et de les mettre dans les mains des courtiers distributeurs, facilement.

Concrètement, pour les courtiers, cela veut dire : plus besoin de se connecter à 3 extranets différents pour comparer les offres. Et s’ils passent par des comparateurs, plus besoin de re-basculer sur un autre outil pour gérer leurs contrats et clientèle. Un login pour accéder à tout ce dont ils ont besoin pour développer leur business - de A à Z. 

Quant aux assureurs, ils n’ont plus qu’à nous fournir leurs produits et on se charge du reste. Intégration des tarificateurs, souscriptions, gestion de la documentation, etc. Big Broker permet aux assureurs de se recentrer sur leur spécialité : le risque. Tout le stack de distribution leur est fourni clé-en-mains. Cela leur permet de bénéficier des meilleures technologies du marché… sans investir 1€ dans leur développement.

L’intérêt de se positionner comme agrégateur sur un marché fragmenté, c’est que vous débloquez des relais de croissance pour tous et vous en bénéficiez vous-même. Tous les acteurs sont intégrés, donc tous les intérêts sont alignés. C’est là où vous basculez dans la croissance exponentielle.

Entendu. As-tu eu des moments pivot en cours de route ?

J’en ai eu plein mais deux me viennent à l’esprit…

Le premier est mon café avec Jean-Marie Pironneau en 2015. Jean-Marie Pironneau, c’était un monstre en informatique; le créateur de Visual Studio qui est aux origines de Visual Basics. A ce moment-là, on avait compris que pour conquérir le marché, il fallait absolument donner aux courtiers distributeurs le contrôle total de leur portefeuille. Et la seule manière d’y arriver, c’était de construire un front ET un back, de zéro. Je lui ai dépeint la vision, je lui ai demandé s’il voulait transformer la distribution d’assurance et c’était parti. On se connaissait depuis 15 minutes.  

Il faut arriver au stade où plus personne ne peut vous dire “non”. Et ça, cela passe par de l’expérience, une vision claire et une détermination implacable.

Sinon, ce petit-déjeuner que je ne pouvais pas me payer au Carlton en 2016. Je me rendais pour la première fois à Réavie, soit LE grand événement de l’assurance Santé/Prévoyance en France. Je ne connaissais personne. J’attendais mon associé sur les chaises bleues de la Croisette. J’avais juste un café avec une personne qu’on m’avait recommandée de voir. Et bien, contre toute attente, ce café lambda déboucha sur une mise en contact avec ceux qui allaient me permettre de financer mon développement commercial grâce au précompte. Un moment décisif dans notre histoire. A partir de là, nous sommes passés de 2 millions à 3 millions, à 5 millions, à 11 millions, à 24 millions, à 49 millions de chiffre d’affaires.

La leçon tirée de cette rencontre, c’est le levier. Si vos concurrents vont plus vite, ce n’est pas forcément qu’ils sont meilleurs. C’est simplement qu’ils actionnent les leviers qui leur permettent de jouer plus grand.‍

J’imagine que tu as dû passer par des moments difficiles également. As-tu un moment de crise en tête … ?

Les contrôles de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) en 2023. 

Je commencerai par dire que dans notre cas, le contrôle se sera terminé sans la moindre sanction au bout d’un marathon de 24 mois.

Évidemment, ce contrôle aura été rude pour l’entreprise. On est passés de 10 000 affaires à 500 l’année suivante. Mais mon cerveau est câblé pour ne jamais laisser une crise passer sans aller provoquer d'opportunités.

Nos processus de sécurisation étaient rodés mais pouvaient être renforcés aux yeux de l’ACPR. Quand le contrôle s’est présenté, nous l’avons simplement pris comme le détonateur d’un plan de restructuration. Celui-ci aura pris presque 2 ans et demi. Mais aujourd’hui, on a complètement tourné nos produits en API, on a structurellement modifié nos systèmes d'information, on a modernisé notre IT, et on a recruté massivement.

2 ans et demi, c’est long. D’où puises-tu ta résilience dans des moments pareils ?

2 choses : la famille et l'équipe.

La famille parce que c’est réellement mon pilier. Si ça va mal, je sais que je peux compter sur elle. Inversement, si ça va mal chez toi, ça se répercute sur le reste de ta vie.

Ensuite, évidemment l’équipe. Si tu as une équipe qui se bat, il est impossible de lâcher. C’est d’autant plus vrai lorsque tu as déjà monté une entreprise et que tu sais comment faire face à ces situations de tension.


Merci pour ton temps et tous tes conseils, Jérémy. J’aimerais finir sur une dernière question : quelle sera selon toi la prochaine vague de transformation qui frappera la distribution d’assurance ?

La prochaine lame de fond sera pour moi le conversationnel. D’ici quelques années, on ne tapera plus rien. Nous aurons nos assistants virtuels qui émettront des recommandations pour nos activités et achats du quotidien. Et ça, il faut s’y préparer. Parce que le changement ne se cantonnera pas simplement à la manière dont nous communiquons avec nos systèmes. Ce sont toutes les mécaniques de référencement qui vont être bouleversées. Comment se faire voir ou entendre dans un univers digital et vocal ?

Et une fois que vous aurez l’attention de vos clients, il faudra impérativement être en mesure de clore la vente instantanément. Notre délai d’attention en ligne est de 8 secondes aujourd’hui. Je vous laisse imaginer ce que ce sera demain, dans un monde où on lira encore moins. Les vainqueurs seront ceux qui arriveront à coordonner les meilleurs écosystèmes de solutions - pour tarifer, souscrire, générer les polices, etc. En résumé, le futur de l’assurance, c’est l’Open Insurance, d’où nos investissements dans “Big Broker” dont je parlais tout à l’heure.

Je finirai en disant que ce sont des projets longs et compliqués. Pour les mener à bien, il nous faudra des professionnels qui arrêtent de penser à leurs objectifs court-termistes et se focalisent plus fondamentalement sur leur legacy long-terme. Ce sont et seront eux les vrais “talents” de demain.

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A propos de Jérémy

Au-delà de ses responsabilités chez SPVIE, Jérémy a assumé pendant 4 la présidence président de la région Ile-de-France / Centre de Planète CSCA, le syndicat des courtiers d’assurance. 
Il est également président de “Assure-moi un projet”, une association ayant pour vocation de détecter, former et accompagner les futurs dirigeants du secteur du courtage en assurance et donner accès aux métiers du courtage aux personnes en reconversion.

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