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"La fin du commissionnement - un very bad trip ?" par Martin Landais et Jean Nicolini

La fin du commissionnement est-elle proche pour le secteur du courtage français ? Jean Nicolini, Chief Insurance Officer chez Seyna, a interrogé Martin Landais, Sous-Directeur des Assurances à la Direction Générale du Trésor, pour le savoir.

La fin du commissionnement - un very bad trip ?

Il est un débat que j’aime bien lancer lorsque je me retrouve un verre à la main avec mes amis courtiers : bon, les commissions on devrait les interdire ou pas ?

Aux grandes questions, les grands experts. Martin, j’ai décidé de faire appel à vous pour venir nous éclairer sur les sujets qui grondent sur les planches des instances européennes.

On ne vous présente plus mais pour la forme :

  • Vous êtes sous-directeur des Assurances à la Direction Générale du Trésor,
  • Votre rôle : veiller à la mise en œuvre d’un cadre législatif et réglementaire qui permette le développement du secteur assurantiel, tout en protégeant les consommateurs et la stabilité  financière.

Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer le processus législatif européen ? Quelles sont les dynamiques importantes à avoir en tête ?

La mécanique européenne est un processus très cadré. Elle est structurée autour de trois principales institutions :

  • la Commission Européenne, incarnant le pouvoir exécutif de l’Union européenne,  détient le monopole de l’initiative législative ;
  • le Conseil de l'UE, représentant les Etats membres ;
  • le Parlement européen, représentant les citoyens européens.

Ces trois acteurs engagent régulièrement des discussions pour définir les contours législatifs du secteur. D’autres acteurs, tels que les représentants sectoriels ou les groupes d’influence, échangent régulièrement avec ces institutions. Bien que ces échanges soient parfois marqués par des divergences d'opinions ou d'intérêts, le processus décisionnel demeure bien établi et reste transparent compte tenu de la complexité des enjeux.

Si on se penche sur les membres désormais, certains prédominent naturellement par leur poids démographique et économique. La France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Pologne cumulent à eux seuls 65% de la population européenne, plaçant ainsi leurs préoccupations et leurs marchés au cœur des négociations.

A noter toutefois qu’une décision au Conseil nécessite généralement une "majorité qualifiée", impliquant au moins 55% des Etats membres (15 Etats) et représentant 65% de la population totale. Dans ce contexte, la France se distingue comme leader du marché de l'assurance, à la fois en termes de bilan global et de primes, couvrant les domaines de la Vie et Non-Vie.


On imagine à vous entendre, la grande diversité entre les acteurs, leur structure et leurs enjeux. Peut-on parler d’une approche Européenne à l’assurance et comment la France se situe ?

De fait, le marché unique de l'assurance est toujours en cours de construction. On a commencé à bâtir une maison avec des règles prudentielles communes (Solvabilité II), des règles de distribution communes (DDA) ce qui constitue les premières étapes d’une architecture commune. Mais une grande diversité subsiste au niveau européen.

Prenons quelques exemples : en Suède, l'importance du secteur mutualiste influence leur approche, tandis qu'en France, l'assurance recouvre des formes diverses, avec une diversité d’acteurs.

Le sujet des commissions montre aussi ces différences culturelles entre pays. Le marché français opère à 85% sur la base de commissions, elles y sont donc la norme. En revanche, elles  sont interdites dans d’autres Etats : par exemple aux Pays-Bas en raison de scandales de distribution passés. La perte de confiance des consommateurs et des institutions a mené le régulateur à franchir le pas.

Dans les faits, la réglementation laisse libre pour certaines applications différenciées permettant de refléter ces différences culturelles et pour s’adapter à la réalité de chaque marché. On peut citer l’exemple de la France qui a décidé d'imposer un devoir de conseil, ce qui n'est pas le cas partout.

La défense de nos intérêts se fait par le dialogue et la production de rapports pour renforcer notre position. Je tiens à rappeler que la France a pris officiellement position contre une interdiction totale des commissions. Elle s’est exprimée notamment par la voix du Directeur général du Trésor, en lien avec une dizaine d’autres Etats membres européens contre cette option, conduisant la Commission à ne finalement proposer qu’une interdiction partielle.

qu’une interdiction partielle.Côté Parlement européen, nous pouvons mentionner la position très claire qu’a prise la députée européenne Stéphanie Yon-Courtin vis-à-vis du texte de la Retail Investment Strategy.

Le texte sur le Retail Investment Strategy prévoit par ailleurs de nombreuses clauses très dures à l’égard des intermédiaires. Pourquoi une telle rigueur et quel sera selon vous l’impact d’une telle mesure si elle est acceptée ?

Le grand principe à l'œuvre est celui de la “Value for money”, soit le rapport qualité-prix pour les consommateurs vis-à-vis des produits financiers.

Le texte renforce les exigences de transparence et de communication auxquelles sont soumis les intermédiaires concernant les coûts, les frais et les risques associés aux produits d'investissement. Elles établissent également des règles plus précises et contraignantes sur la publicité afin d’éviter la propagation de toute information qui pourrait être considérée comme trompeuse, notamment par le biais des réseaux sociaux.

Elle remet en lumière l’impartialité nécessaire des intermédiaires, les conflits d'intérêts potentiels liés à la nature de la rémunération des distributeurs et les pratiques d'incitation financière. Cela viendrait renforcer l’article L521-1 du code des Assurances disposant qu’un distributeur d’assurance ne peut pas donner un conseil biaisé par une pratique de rémunération. De fait, on peut s’attendre à ce que le superviseur redouble de vigilance sur des sujets tels que le l’escompte ou le précompte dès lors qu’ils génèrent des dynamiques incitatives incompatibles avec le devoir de conseil et l’intérêt du client.

Après son adoption par la Commission, le texte est désormais discuté au Parlement européen et au Conseil, en vue  en vue de l’approbation d’une version commune. Une fois adoptée, la Directive devra être transposée dans le droit des États membres.

Merci Martin pour vos lumières et votre temps.

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